Chroniques des accidents bénins
Karine n'a plus de vélo, et une entorse au genou qui va l'handicaper
pendant plusieurs semaines. Alors qu'elle circulait à vélo,
une voiture l'a doublée, puis a ralenti, et la portière du
passager s'est brutalement ouverte, précipitant Karine sur le sol.
L'automobiliste, après un bref échange de paroles "vous vous
êtes fait mal? - oui, je ne peux plus me relever", a redémarré.
Des témoins et Karine ont relevé le numéro d'immatriculation.
Et puis? Et puis rien. Aussi incroyable qu'il puisse y paraître,
le commissariat a refusé d'enregistrer la plainte de Karine. Pas
de délit de fuite (la jurisprudence est formelle, attendu que les
témoins ont eu le temps de noter le numéro, qui n'était
pas masqué). Pas non plus d'enregistrement, alors qu'il y a dommage
physique évident.
Un cas isolé? Manifestement non, ce témoignage, une fois
publié sur le web, en a suscité quelques autres, du même
type: fuite de l'automobiliste, refus d'enregistrer la plainte.
Un bon cycliste est un cycliste mort
L'analyse des suites
judiciaires des accidents mortels de vélo est trompeuse. En effet,
dans le cas où le cycliste y laisse sa peau, la jurisprudence lui
est extrêmement favorable. On cite le cas d'un cycliste circulant,
ivre, sans lumières, à gauche, sur une route de campagne
non éclairée, et tué par un automobiliste roulant
à allure modérée, dont le tribunal a cependant reconnu
l'entière responsabilité. Le cycliste mort est très
bien protégé par la loi.
Quant au cycliste toujours vivant, et cassé seulement provisoirement,
tout se passe comme si le fait de circuler à vélo valait
acceptation des risques inhérents. Fatalité! pas plus que
le marin ne peut faire de procès à la tempête qui l'a
précipité sur les rochers, le cycliste ne peut se plaindre
de l'automobiliste qui l'a blessé. Il faut bien que les portières
s'ouvrent, nul ne peut exiger des automobilistes qu'ils restent à
l'intérieur - où ils sont pourtant si bien, maintenant, avec
le téléphone, la clim et la radio.
Plus sérieusement, la réaction policière "c'est
pas bien grave", est une marque que la voirie, c'est à dire, en
ville, la totalité de l'espace public en dehors des parcs et jardins,
est un lieu destiné à l'automobile, où les autres
usagers sont tolérés, et où ils doivent être
prudents. Elle procède de la même logique que la très
grande rareté des contrôles de vitesse en ville, et que la
tolérance envers les stationnements sur trottoirs, bandes cyclables
et passages piétons.
On n'est pas au faroueste
Devant cette attitude,
les cyclistes ont souvent une envie forte de se faire justice eux-mêmes,
ce qui entraîne des réactions du genre de celle-ci (témoignage
reçu par l'auteur) "Même avec un poignet cassé, le
mec je lui éclate sa gueule, ou pire pour lui, sa voiture […] si
le flic ne prend pas ma plainte, s'il ne convoque même pas l'automobiliste,
c'est au flic que je casse la gueule, immédiatement.". Forfanterie,
sans doute, mais combien d'entre nous ont rêvé de se défouler
de la sorte, parce qu'ils "ne croient plus en la justice de leur pays"?
Sauf que ce n'est évidemment pas une attitude responsable. Nous
sommes citoyens d'un état démocratique, et nous devons faire
reconnaître dans les faits ce qui l'est déjà par la
loi: les cyclistes victimes d'accident, y compris "bénin", ont droit
à réparation, et à considération de leur état
de victime.
Féministes - cyclistes, même combat!
Quand on me dit d'un cycliste accidenté "il l'a bien cherché,
c'est dangereux de circuler à vélo en ville", j'entends un
vieux refrain, "elle s'est fait violer, elle l'a bien cherché, on
n'a pas idée de sortir seule à une heure pareille". Ce vieux
refrain, on ne l'entend plus guère. Ce n'est pas une évolution
spontanée de la société. C'est le résultat
d'une lutte acharnée des féministes, lutte qui signifie aussi:
"nous exigeons le respect". Cyclistes urbains, nous exigeons le respect.
Nous ne voulons pas casser la gueule aux automobilistes qui mettent en
danger la vie des cyclistes, nous voulons que la loi s'applique.
Non à la tolérance envers les
automobilistes dangereux!
Il faut obtenir que la police accepte d'enregistrer les plaintes pour tous
ces accidents. La même cause (la portière qui s'ouvre) peut
provoquer un accident dramatique, comme l'année dernière
à Paris, où une voiture qui suivait le cycliste renversé
par une portière n'a pu l'éviter et l'a tué. Il faut
faire cesser la tolérance envers les automobilistes qui fuient,
même en laissant le temps de noter leur numéro.
En cas de refus du commissariat d'enregistrer une plainte, il faut s'adresser
directement au procureur de la République, ou bien à une
association d'aide aux victimes, comme il en existe maintenant dans tous
les départements, rattachée au tribunal de grande instance.
L'espace urbain appartient à tous. La fin de la tolérance
pour les délits automobiles est une condition nécessaire
à un rééquilibrage du partage de la voirie, qui rendra
la ville à sa destination: un lieu de rencontre et de vie commune,
et non un ensemble de tuyaux de circulation. On voit ici que la lutte pour
obtenir la reconnaissance des accidents bénins est partie intégrante
d'une lutte plus vaste pour la liberté, la liberté de profiter
de l'espace urbain, actuellement confisqué par les automobiles.
La tolérance, comme l'absence de loi, conduit à la loi
du plus fort, à la loi de la jungle. Je ne veux pas vivre dans une
jungle peuplée d'automobiles affamées et frustrées,
je veux vivre, à vélo, en ville.
Que faire en cas d'accident?
- Notez le numéro de la voiture responsable
- Relevez les noms et adresses des témoins
- Demandez au commissariat l'enregistrement
de la plainte pour "absence d'identification du conducteur", qui n'est
pas "délit de fuite", effectivement inopérant si vous
avez eu le temps de noter le numéro
- En cas de refus, précisez -calmement-
que la police a l'obligation légale d'enregistrer, et n'a pas
à juger l'opportunité des poursuites
- En cas de maintien du refus, vous pouvez
écrire au procureur de la République en donnant les
circonstances du refus d'enregistrement par le commissariat
- Contactez l'association d'aide aux victimes
et de médiation qui existe obligatoirement dans chaque département
(pour connaitre le plus proche de chez vous: http://www.justice.gouv.fr/region/inavem.htm
Numéro national d'aide aux victimes 0 810 09 86 09 tous les jours,
sauf dimanches et jours fériés, de 10 heures à 22 heures Prix d'un
appel local. Institut national d'aide aux victimes et de médiation
(Inavem) 1, rue du Pré-Saint-Gervais 93691 Pantin Cedex Tél. : 01
41 83 42 00 Fax : 01 41 83 42 24 E-mail : contact@inavem.org
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