
Vivre à Vélo en Ville
Association de cyclistes urbains de Montreuil (Seine Saint Denis - France).
Une tribune libre du président de Vivre
à Vélo en Ville
Voici comment, le 22 septembre 1999, j'ai vécu la deuxième
journée sans voitures depuis le stand de Vivre à Vélo
en Ville, au point névralgique de l'opération.
La pagaille
Tôt levés et installés sur notre stand Place de la
Mairie, nous avons immédiatement servi de bureau des renseignements
au milieu d'une organisation défaillante, d'une signalétique
inexistante et d'un incommensurable manque d'information du public, en
dépit des 75 000 Francs attribués à la ville par le
Conseil Régional pour sa "communication" sur l'opération.
Toute la journée, nous avons dû diriger les usagers vers le
point d'échange des bons de transport, vers le service de prêt
de vélos Roue Libre de la RATP, vers l'atelier de réparation
et vers l'URSAFF à tel point que l'on peut se demander s'il existait
quelque part un lieu dûment repéré où le public
pouvait trouver un quelconque renseignement sur les activités de
la journée.
Animateurs pour enfants?
A partir de 10h nous avons été sollicités par de très
nombreux enfants non encadrés ni retenus par des activités
susceptibles de les occuper intelligemment dans le cadre de cette journée
censément pédagogique et censément ciblée sur
eux. La carence sur ce plan est flagrante. Durant plusieurs heures nous
avons organisé des tours de vélo pour de jeunes enfants et
pré-adolescents auprès desquels nous avons, à deux
ou trois, joué le rôle d'éducateurs, de moniteurs avec
nos propres vélos en nombre trop restreint pour permettre à
chacun et surtout aux plus civils et aux moins hardis d'entre eux de satisfaire
une envie compréhensible de pédaler librement.
Nous avons servi de point d'accueil au Conseil Régional qui
nous avait chargés d'une enquête dont les questionnaires ne
nous sont pas parvenus avec, rétrospectivement, beaucoup de temps
et d'énergie perdus en rencontres, communications téléphoniques,
déplacements et travaux manuels.
Non, nous ne sommes pas des farfelus sur
des vélos rigolos!
La journée a connu son climax médiatique avec la visite de
la Ministre de l'Environnement. On aurait pu attendre qu'elle accorde quelques
instants d'écoute à une association dont l'action se situe
au cœur même de la problématique du jour. Arguant de contraintes
d'horaire, le député maire l'a ostensiblement détournée
de notre stand tout en présentant F. Fatoux comme un farfelu venu
montrer ses vélos rigolos. Elle ne s'en est pas moins livrée
à deux minutes de pédalage sur le manège voisin, au
demeurant fort sympathique, le temps pour les caméras de fixer l'image
pittoresque du jour.
Une inauguration qui frôle le ridicule
L'épisode ballons qui a suivi dénote un niveau d'impréparation
consternant. Nous étions censés les disposer comme balises
de la future piste cyclable sur l'avenue de la Résistance. Ces ballons
ont fort logiquement attiré un foule d'enfants pour lesquels la
distribution s'opérait, à leur insu, à cinq cent mètres
de notre stand, rue Galliéni. Alors que nous préparions notre
départ pour l'inauguration de la piste virtuelle, nous avons étés
assaillis d'enfants et de parents frustrés de ballons, contre qui
nous avons dû défendre nos grappes de balises en baudruche.
L'inauguration fut au diapason du chaos ambiant. Partis de la place
de la mairie sans la moindre escorte, alors que la brigade cycliste était
en service toute la journée, nous avons dû, avec des enfants
à vélo et d'autres courant à nos côtés
dans l'espoir de récupérer les fameux ballons, sortir du
périmètre sans voitures et traverser la Croix de Chavaux
au milieu de la circulation automobile, très dense du fait de l'heure
et de la fermeture du centre ville, pour assister finalement à une
séance inaugurale dont le ridicule frôlait les limites de
la provocation pour notre association. Un ruban tendu entre deux pôtelets
au-dessus d'une empreinte signalétique de vélo, la seule
et unique dans tout Montreuil, peinte à la hâte, le tout coincé
devant deux conteneurs de tri sélectif. Fixé à un
lampadaire avec du fil de fer, un panneau de voie cyclable à moitié
masqué par les feuilles de l'arbre voisin, complète ce bric-à-brac
inaugural. Les fils des ballons destinés au balisage s'étant
emmêlés pendant le parcours, il fut impossible de les détacher
pour les utiliser à leur usage prévu. De toute façon,
la foule des gamins qui nous escortait depuis le départ n'attendait
rien d'autre qu'ils soient libérés afin de les récupérer
au plus vite. Les quelques baudruches positionnées par les enfants
respectueux du rituel programmé furent arrachés une minute
après, parfois au prix d'une dispute. Le cortège de l'inauguration
1999, réitération de l'épisode 1998 s'est étiolé
au bout de cinquante mètres au milieu des passants sur le trottoir
et des voitures sur la contre-allée.
Dans l'odeur du gasoil...
Pour parfumer cette chronique d'une journée sans voitures, nous
retiendrons que nous l'avons vécue sur le stand dans une atmosphère
enrichie par les gaz d'échappement des bus les plus polluants que
possède la RATP et qui ont bien évidemment opéré
des rotations supplémentaires.
Qu'avons nous gagné à cette
journée?
Vus de notre position d'association participante, les aspects positifs
de cette journée ne doivent rien au fait qu'elle ait été
programmée tant au niveau national que local. A l'égard de
ces deux niveaux d'instance, nous ne retirons qu'un sentiment d'avoir été
utilisés sans vergogne et dans une ignorance proche du mépris.
Pourtant, il y avait des choses intéressantes...
Faute de disponibilité, nous n'avons pas pu parcourir le secteur
vide de circulation automobile, mais il est vraisemblable que l'animation
s'est focalisée autour de la mairie, si l'on en juge par l'affluence
qui régnait. Quelques acteurs y ont apporté des animations
intelligentes comme ce poétique forain au manège "cyclomobile",
la discrète association Cyclo Pouce et son bibliovélo, véritable
outil culturel alliant le conte et l'innovation technologique, l'association
AFMCM et son atelier de réparation qui n'a pas désempli,
cette bande de squatters et leur char à musique vélo-tracté,
les animateurs des centres aérés qui ont amené les
enfants pour des visites pédagogiques préparées ou
qui ont encadré des jeux dans la rue et sans doute certains autres
que nous n'avons pas eu le loisir de voir à l'œuvre.
Quant à VVV, outre notre propagande habituelle quelque peu entravée
par le désordre de la place et empuantie par les émanations
des trous du pot des bus, nous avons pu tenir notre programme d'école
de vélo dans la matinée, de démonstration de vélos
différents toute la journée, ce qui a finalement débouché
sur une organisation improvisée de tours de vélos pour des
gamins et gamines avides de pédaler sur de belles et bonnes machines.
C'est cette partie-là que je retiens personnellement comme la plus
éprouvante, car nous ne l'avions pas du tout envisagée, mais
aussi comme la plus révélatrice du chemin à parcourir
pour parvenir à une société moins scandaleusement
inégalitaire en matière de partage de tous ordres, à
commencer par l'éducation, celui de l'espace public n'en étant
qu'un corollaire.
Et si on réfléchissait un
peu sur le sens politique de notre action?
Je ne sais pas si VVV peut orienter son action en fonction d'une telle
expérience, mais il semble à plusieurs d'entre nous qu'il
est temps pour l'association d'effectuer un travail théorique sur
notre place dans cette société. Que nous le voulions ou non,
notre militantisme cycliste revêt un caractère politique,
indépendamment de nos positions idéologiques respectives,
mais qui de toute façon s'implique concrètement dans les
revendications de nos droits au partage de l'espace public, à la
sécurisation de nos personnes au cours de nos déplacements
et à celle des biens que sont nos montures.
Au soir de cette journée sans voitures, vécue d'un bout
à l'autre sur le terrain, je suis persuadé que notre participation,
dans les formes floues que nous avons acceptées, constitue une erreur
dans la mesure où nous avons malgré nous servi de figurants
à la prétendue démocratie participative et assumé,
à titre gratuit, des tâches que certains acteurs de la commune
ont refusées de façon parfois légitime mais que d'autres
ont évacuées de leurs responsabilités au profit d'une
médiocre agitation médiatique.
Montreuil, le 22 septembre 1999
Rémy Albaric
Président de Vivre à Vélo en Ville
(les intertitres rouges
sont de la rédaction du site)
retour
à la page de